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Intervention de A Mignot et MA Medioni Université de printemps 2018

publié le 14 novembre 2018

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Comment mobiliser les élèves à l’apprentissage d’une langue étrangère ?

A. M. Les programmes sont adossés au Cadre Européen Commun de Références pour les Langues. Ce dernier est un outil qui mentionne la perspective actionnelle. En quoi cela consiste-t-il ? Pour faire bref : que faire faire à ses élèves pour qu’ils aient besoin de parler en langue étrangère ? Si une question est posée, c’est que la réponse n’est pas connue… La pratique de jeux, ou d’activités dites ludiques contribue à faire de cette discipline une matière attractive. Jouer permet de simuler, le fictionnel est un bon adjuvant qui dédramatise l’erreur ; mais il s’agit de bien garder en vue le sens des apprentissages. Entre deux phases de jeu, il s’agit de voir ce qui a été appris et ce qui demande à être retravaillé, à s’entrainer pour progresser et retourner jouer.

M.-A. M. Apprendre une langue c’est "s’étranger le regard", découvrir des façons d’être et de penser différentes, s’interroger sur ces différences, découvrir des ressemblances, ouvrir d’autres sens, élargir son horizon de compréhension du monde. Pour cela, il faut proposer des situations complexes qui présentent des problèmes à résoudre, en coopération, et permettent de dépasser les visions frileuses ou étroites qui font de l’autre un excentrique, voire même un ennemi, des situations de co-action qui permettent d’opérer des déplacements à la fois sur le plan des savoirs comme sur celui des comportements cognitifs, par les mises en relation nouvelles que l’apprenant est amené à faire. Ce qui mobilise, c’est de devenir plus intelligent, c’est-à-dire capable de comprendre.

Comment utiliser l’enseignement d’une langue étrangère dans un cadre interdisciplinaire ?

A. M.  Plutôt qu’utiliser, je dirai « faire des liens » avec les autres disciplines, car longtemps les langues ont été l’apanage des assistants, des professeurs du second degré ou des intervenants divers qui venaient réaliser des séances « hors sol ».
Avec le passage de relais aux enseignants titulaires de la classe, on peut espérer que cet enseignement prenne une place différente dans la vie de la classe, notamment en privilégiant les rituels (la date, l’appel, la météo, la boite à questions qui réactive les notions étudiées…). Les programmes de 2015 insistent sur cette dimension interdisciplinaire. De fait les langues étrangères sont au carrefour de nombreuses disciplines : la musique, les arts plastiques, l’E.P.S. l’histoire et la géographie, l’étude de la langue… Pour la comparaison avec le français comme objet d’étude, on partira des interrogations des élèves pour construire des règles en interrogeant des corpus.

M.-A. M.  L’apprentissage d’une langue étrangère permet de faire des incursions tout à fait logiques dans d’autres champs, certains auxquels on pense plus spontanément (l’histoire, la géographie, la littérature, les arts plastiques, le cinéma, etc.) mais aussi les sciences (les apports mathématiques des Arabes, via l’Espagne et la langue espagnole, par exemple), l’économie, etc. Le plurilinguisme invite également à s’interroger sur les codes sociaux, les rituels, les significations données au monde par les uns ou les autres. C’est une richesse dont il serait regrettable de ne pas abuser…

Quelle importance de l’apprentissage des règles grammaticales en école élémentaire ?

A. M. Evidemment, il ne s’agit pas de faire copier dans les cahiers la conjugaison du verbe être ou bien de jouer, comme le prônent certaines méthodes. Ce travail se révèle terriblement abstrait et vide de sens. C’est dans la construction d’énoncés et dans l’interaction que les élèves s’exercent à produire oralement en s’appuyant sur les modèles proposés par les supports sonores (albums, poèmes, chansons…)

Lorsque nos élèves sont amenés à produire un énoncé, ils utilisent des formulations, des structures qu’ils ont mémorisées en blocs lexicalisés mais sans s’interroger sur leur construction a priori. En cas d’incorrection de l’énoncé, l’enseignant renvoie l’élève au modèle de référence pour l’inviter à reconsidérer sa production. L’élève puis le groupe analysent les erreurs (accord du groupe nominal, adjectif de couleur placé derrière le nom…)

M.-A. M.  L’apprentissage des règles grammaticales ne présente aucun intérêt, ni à l’école élémentaire, ni plus tard, dans le secondaire ou au-delà. Ce qui importe, c’est de travailler à l’observation et à la compréhension du fonctionnement de la langue qui va permettre de tirer des conclusions au fil des découvertes. Ces conclusions seront complexifiées par la rencontre de nouvelles occurrences et contrastées avec les descriptions de la langue telles qu’elles figurent dans les grammaires. Mais ce travail ne peut se faire en préalable à l’utilisation de la langue en contexte et en actions. C’est lorsqu’on dispose de quelque chose à observer qu’on peut s’arrêter pour le faire.

Les programmes ont introduit l’éveil à la diversité linguistique et des cultures en école maternelle ? Qu’en pensez-vous ?

A. M. La découverte de la diversité des langues est l’occasion d’une première prise de conscience de leur existence. Cette ouverture sur l’autre permet de faire des liens et aussi de faire entrer à l’école des langues, qui n’ont pas un statut de langue scolaire. C’est aussi un pas franchi en destination des familles dont les langues sont différentes de celle de la classe. Souvent subsistent encore, des interdits …de la part des familles, qui souhaitent au nom d’une intégration réussie, parler français à la maison. Les cultures familiales trouvent une place dans cet éveil et favorisent la participation des parents à des moments de classe selon les axes développés par l’enseignante (à partir des fêtes calendaires, contes, comptines, objets culturels …). Il n’est pas question ici d’apprendre une langue mais d’ouvrir une fenêtre culturelle. La plasticité de l’oreille et de l’appareil phonatoire sont souvent évoqués également.

M.-A. M. Il faudrait revenir à Claude Hagège qui souhaitait un vrai plurilinguisme, défendant l’idée de l’ouverture aux autres, de la compréhension des modes de faire, de penser et de dire, selon les cultures et les langues. Une ouverture à la diversité linguistique qui éduque l’oreille des enfants à d’autres réalités mélodiques, qui permette de dépasser la crainte face à la compréhension de messages en langue étrangère, de solliciter des muscles, des zones peu ou pas utilisées dans la L1 — langue maternelle ou d’usage. Une ouverture qui rende les enfants souples et accueillants à l’altérité de façon à ce que les inhibitions tombent et que, lorsqu’ils vont effectivement approfondir une langue étrangère en particulier, ces comportements soient déjà installés. Ce sont là des fondamentaux, qui peuvent être travaillés avec plusieurs langues.

Quelle place pour le français lors d’une séance d’enseignement de langue étrangère ?


A. M. Les enseignants qui croient au bain linguistique et se sentent capables de mener toute une séance en langue cible sont centrés sur leur performance linguistique, mais qu’en est-il de l’apprentissage des élèves ? Pour un bain, 54 heures par année, sont insuffisantes. Quel équilibre maintenir ? Evidemment l’exposition à la langue doit être maximale mais une séance « tout en langue » signifie qu’il n’y a pas de retour sur apprentissage, pas d’analyse réflexive sur ce qui a été appris et comment cela a été appris. De même, une situation problème provoque la discussion et si les élèves individuellement ne peuvent pas la résoudre, alors ils s’interpellent, argumentent, et finalement se mettent d’accord au sein de leur groupe. Forcément la langue pour ce travail de métacognition ne peut pas être la langue étrangère.

Ou Dans quelle langue doit se dérouler la séance d’enseignement de la langue étrangère ?

A. M.  La question centrale est qui parle ? Il est impossible de donner une réponse tranchée. Cela dépend de l’objectif de la séance : Ce sont les élèves qui parlent (saynètes, enquêtes, chansons, lectures d’albums …) donc le cours se déroule dans la langue cible. En caricaturant un brin, si le professeur soliloque et se fait plaisir parce qu’il est à l’aise dans la langue cible, il contemple son action, voire son activité en ignorant celle de ses élèves.

M.-A. M. La L1 ne peut pas être laissée à la porte de la classe. Les méthodologies de type behavioriste ont tenté de fonctionner sur cette illusion. Le "tout langue-cible" provoque une angoisse forte chez tout apprenant soumis à une masse phonique où il ne peut pas avoir suffisamment de prise. On aurait tout à fait intérêt à penser l’alternance codique non seulement comme une stratégie d’enseignement mais comme une stratégie de communication. Les moments de recherche et d’organisation dans la tâche, le retour sur le travail, la phase d’institutionnalisation, ne peuvent guère se faire autrement que dans la langue de communication des apprenants. En revanche, la production doit être exigée en langue cible… à condition que les apprenants disposent des ressources nécessaires pour y satisfaire.

Plus globalement, quel est votre regard sur l’enseignement aujourd’hui de l’allemand ou de l’espagnol au sein des écoles ?

A. M. La réconciliation entre l’Allemagne et la France est scellée par la signature du traité de l’Élysée, le 22 janvier 1963 par le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer. Il apparait essentiel de connaitre la langue du partenaire. Cela se manifeste par la mise en place de jumelages entre villes allemandes et villes françaises, et par la proposition d’apprendre l’allemand dès l’école primaire.
Sinon cela dépend de la situation géographique de la région. Pour le département du Rhône, les langues développées sont l’allemand par le biais des postes fléchés et depuis peu quelques postes fléchés ont été créés en espagnol quand le collège de proximité (ou de secteur) propose cette langue dès la 6ème.

M.-A. M.  La prédominance de l’anglais n’est pas le meilleur choix possible pour répondre à la préoccupation pour le plurilinguisme telle qu’elle s’affirme aujourd’hui. On constate trop souvent que les parents et l’institution jouent la carte de l’utilité, et choisissent l’anglais, fermant ainsi la porte aux autres enseignements de langue en primaire. L’objectif tient davantage de l’utilité – commencer plus tôt pour être plus performant — que de la formation à proprement parler. C’est vraiment regrettable d’autant que le passage de relais en 6ème ne se fait pas de façon aussi automatique qu’on pourrait l’imaginer et le souhaiter. Le fait de « tout reprendre » en 6ème a, pour les apprenants, des conséquences dramatiques dans l’estime de soi, dans la valorisation de leurs connaissances. La concertation pédagogique manque encore trop, remplacée par un regard méfiant vis à vis du cycle antérieur. Qu’entend-on en fait par « apprendre une langue » sinon échanger, interagir et réagir ? Peu importe alors la langue… si ce n’est, comme le défendait Claude Hagège, déjà en 1996, qu’il serait certainement plus intéressant de retarder l’apprentissage de l’anglais pour introduire à l’école primaire les « langues des voisins » (allemand, espagnol, italien, portugais), les langues régionales ou de l’environnement familial, dont l’arabe…


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